TSN: critique des Inrocks

Publié le par Yohan

Les inrocks:

"The Social Network" ou le triomphe d’un homme qui a trahi ses proches pour construire un empire. Le triomphe aussi d’une rencontre : celle du storytelling génial d’Aaron Sorkin, créateur d’"A la Maison Blanche", et de la puissance visuelle du réalisateur David Fincher.

 

Il existe un lien très fort entre capitalisme et libido – les universitaires l’ont prouvé : créer des entreprises, faire des coups de fric, baiser la concurrence est jouissif, paraît-il. Racontant la création et l’envol de Facebook, The Social Network illustre cette théorie en la renversant : c’est la libido d’un étudiant frustré qui a engendré presque par hasard l’une des plus fortes aventures capitalistes récentes.

 

Si le film de David Fincher est fidèle à la réalité, Facebook semble né d’une suite de hasards. Nerd casse-pied, brillant geek de l’informatique, largué par sa copine, un peu déprimé et très bourré, Mark Zuckerberg a eu un soir l’idée de se venger en piratant le réseau informatique d’Harvard pour y créer un site et faire voter pour la meuf la plus canon du campus. Succès foudroyant. Avec l’aide et l’argent de son copain roommate, Zuckerberg développe rapidement son idée de réseau social informatique, plus par jeu et “geekerie” obsessionnelle que par cupidité.

Mais l’Amérique étant l’Amérique et l’argent son moteur dominant, les vautours (Justin Timberlake, très bon en prédateur easton-ellisien) ne tardent pas à rôder autour de Zuckerberg et de ses idées.

 

Fincher et son scénariste Aaron Sorkin ont réussi un bijou d’écriture, tant dans la construction générale que dans le détail des dialogues. Partant d’un gigaprocès où Zuckerberg affronte ses anciens partenaires, le film se construit en flash-backs successifs, et le suspense rétrospectif ne se dément jamais. Les répliques fusent à cent à l’heure, comme du Hawks sous coke. Mais dans la guerre entre hommes et femmes que racontait Hawks, les femmes ferraillaient à égalité. Dans The Social Network, elles sont marginalisées. Le capitalisme, et peut-être aussi la “geekerie”, est un truc avant tout masculin, où les gagnants sont les plus malins, cyniques et couillus : plutôt Fight Club (David Fincher, 1999) que La Dame du vendredi (Howard Hawks, 1940).

 

Autre leçon : les réussites capitalistes contemporaines vont très vite, au diapason de l’accélération du monde et de la technologie. C’est à la fois fascinant (un ado en mal de sexe devient milliardaire en quelques clics) et effrayant : les ennuis tombent aussi vite et lourdement que la fortune sur les épaules de Zuckerberg. On pense bien sûr à la crise actuelle, résultante de cette accélération folle de l’écofinance, qui plane dans le hors-champ du film.

The Social Network ne se veut pas tant un film sur Facebook que sur les paradoxes et contradictions de l’Amérique et du capitalisme contemporains. Dans cette loterie brutale, une bonne idée peut porter n’importe qui vers les sommets. Mais attention, le système veille et vous contraint à vous plier à ses règles. Cette folie à la fois attirante et répugnante se synthétise dans le physique d’angelot boudeur de Zuckerberg (Jesse Eisenberg). L’acteur, génial, incarne magnifiquement cette nouvelle race mutante : visage et tenue à manger des Pépito, mais génie spécialisé qui peut valoir des milliards. Le capitalisme vampirise ses enfants, ne leur laisse plus le temps de grandir.

 

En sortant de ce film riche de lectures multiples et au rythme d’enfer, on se pose une question : milliardaire, Zuckerberg a bien changé le monde en voulant juste pécho des meufs. Mais est-il heureux ?

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article